40TWh par an : c’est l’énergie nécessaire à la production d’eau chaude sanitaire destinée au logement ! A l’heure où la France s’est engagée à diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 et sachant que le bâtiment est le plus gros émetteur, il est sans doute intéressant de rompre avec la question du comment produire et de réfléchir à ce qui est récupérable.
L’économie circulaire ou l’art du recyclage devient une réflexion permanente à tous les niveaux. Et compte tenu des enjeux environnementaux et stratégiques, l’énergie est un domaine qui mérite également que l’on s’y intéresse.
La récupération d’énergie ou recyclage énergétique est en plein essor, à l’image de l’exploitation de l’énergie contenue dans l’air vicié par l’intermédiaire des ventilations double flux. Dans la même veine que l’exemple cité précédemment, les eaux usées représentent également un gisement significatif. Et grâce aux récupérateurs de chaleur sur eaux grises, il est possible d’extraire jusqu’à 75% de l’énergie contenue dans les eaux grises. Les techniques et systèmes pour en exploiter le potentiel sont de plus en plus nombreux. Ils offrent également un panel large pour répondre à toutes les configurations techniques.
Un principe simple
La plupart des échangeurs de chaleur passifs reposent sur le même principe. L’eau grise, avant d’être envoyée à l’égout encore chaude, transmet sa chaleur à l’eau froide entrante par l’intermédiaire d’un échangeur (Schéma 1).
Celui-ci peut être tubulaire ou à plaque, en cuivre (le plus répandu) ou en inox. Le plus souvent, ces systèmes exploitent l’échange thermique entre l’évacuation gravitaire des eaux grises et la pression de l’eau de ville côté eau propre.
Non seulement ces solutions reposent sur un principe simple, mais de plus, elles sont passives. Cela signifie qu’il n’y pas de pièces en mouvement, pas d’auxiliaires ou de moteurs, gage d’une durée de vie significative de plusieurs dizaines d’années.
Il existe plusieurs possibilités pour leur implantation. Les systèmes s’installent directement dans les douches ou sous les baignoires. Ils peuvent aussi venir en lieu et place des tuyaux d’évacuation classique (de type ShowerPipe).
3 branchements hydrauliques sont envisageables. Les récupérateurs préchauffent l’eau froide arrivant au mitigeur côté froid et/ou à l’appoint. Selon le produit et le branchement sélectionnés, les rendements vont de 25 à 75% environ.
De plus, les systèmes étant peu complexes, les coûts des récupérateurs sont plutôt accessibles (de 350 à 1350€ pour les systèmes individuels). Cela place donc la récupération de chaleur sur eau grise in situ a un coût compétitif par rapport aux énergies traditionnelles. Ainsi, le coût de production de préchauffage de l’eau chaude sanitaire varie entre 10€/MWh (pour une installation de type piscine) et 35€/MWh (dans le logement individuel).
Un étonnant potentiel
Avec 2 millions de m3 d’eau chaude sanitaire consommés chaque jour dans le logement, il serait possible d’effacer environ 20TWh de la consommation énergétique française. En effet, à chaque douche prise, la puissance disponible en sortie de douche est équivalente à celle d’une petite chaudière. (Cf Graphique 1).
L’intérêt est que ce potentiel ne peut être altéré par des éléments extérieurs. La récupération de chaleur in situ est climato-indépendante. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, sa capacité de production est toujours identique. De plus, le récupérateur « travaille » en instantané avec le consommateur.
Nous évoquions plus haut le logement, mais partout où il y a consommation d’eau chaude et rejet simultané, il est possible de récupérer l’énergie. Les équipements collectifs tels que les EHPAD, les piscines, les gymnases, les internats, les hôtels… sont autant de lieux consommateurs où la récupération s’avère pertinente.
Un marché français prometteur
Loin d’être anecdotique dans certains pays, comme aux Pays-Bas (1/3 des maisons neuves équipées) ou au Royaume-Uni, les récupérateurs de chaleur in situ doivent encore trouver leur place sur le marché français.
La France compte aujourd’hui une dizaine de sociétés actives dans le domaine de la récupération de chaleur sur eaux usées. Jusque la RT2012, le besoin nécessaire à la production d’eau chaude sanitaire était inférieur à celui lié au chauffage. Désormais, la consommation d’énergie pour l’eau chaude sanitaire est le premier poste avec 50% du besoin total en énergie des logements neufs. La récupération d’énergie devient donc un réel levier sur lequel s’appuyer pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments.
De la RT2012 à la RE2020 : Une confirmation dans l’intégration réglementaire
Les récupérateurs de chaleur passifs bénéficient d’un titre V générique en post traitement depuis 2013. Et ils contribuent depuis Septembre 2019 au coefficient AepENR (indispensable aux permis de construire des maisons neuves). Cette évolution réglementaire n’est que la traduction de la LTE (Loi de Transition Energétique de 2015) qui demandait d’assimiler la récupération de chaleur in situ au même titre que les énergies renouvelables.
Il est d’ores et déjà acté que les récupérateurs de chaleur passif, considérés désormais comme chaleur renouvelable, intégreront la RE2020 en dynamique. Cela signifie que leur traitement sera intégré directement aux logiciels certifiés. Le gain règlementaire sur le Cep ECS se situe entre 3 et 15 kWhep/m² SHON.an selon la typologie de bâtiment (soit -10 à -30% du Cep ECS).
La prochaine réglementation poussera, théoriquement, le curseur sur l’analyse de cycle de vie. Avec leur durée de vie est significative (10 à 40ans) et leur composition simple (PVC, cuivre ou inox), les récupérateurs de chaleur sur eau grise devraient sans doute tirer leur épingle du jeu et proposer une solution pertinente sur les deux tableaux Energie et Carbone.
Le meilleur est à venir
Les premiers brevets concernant les récupérateurs de chaleur passifs datent du début des années 1970. Ceux-ci ont réellement intégrés les bâtiments depuis le début des années 2000, notamment aux Pays-Bas. L’énergie est rare et le deviendra de plus en plus, mais l’eau est également une ressource sur laquelle des tensions émergent. Ce constat a poussé à la recherche certains fabricants qui proposent désormais des solutions de recyclage global. Lors du savonnage, quasiment toute l’eau de la douche est évacuée directement après transfert énergétique. Puis dans la phase confort, où l’on reste sous la douche par plaisir, l’eau est presque intégralement recyclée, pour descendre la consommation à 1l/min. Soit 12 fois moins qu’une douche conventionnelle ! Des solutions prometteuses qui devront sans doute patienter encore quelques années avant une évolution réglementaire.
Etude de cas
En 2014, une résidence étudiante de 110 studios, gérée par DUWO (propriétaire de 30000 chambres et maisons à travers les Pays-Bas), a été équipée de récupérateurs de chaleur sur douches verticaux (de type Shower Pipe). 10 appartements bénéficient d’un système de comptage. Ceux-ci ont permis de constater une efficacité moyenne de 58%. Compte tenu du fait que les lavabos et les cuisines consomment également une partie de l’ECS mais qu’ils ne sont pas raccordés au système, le besoin total en énergie pour la production de l’ECS a été réduit de l’ordre de 40 %.
Ces résultats ont été confirmés par une comparaison directe avec un immeuble adjacent identique mais non équipé de récupérateurs. DUWO a ainsi constaté une réduction de 40 % de la consommation d’énergie entre les 2 bâtiments.
Chacun des studios est équipé d’une unité d’interface thermique pour le chauffage des locaux et de l’eau chaude via un système de chauffage urbain centralisé. Les systèmes de récupération de chaleur in situ sont, quant à eux, situés dans des gaines palières.